lundi 13 janvier 2020

Intimidation

Quand l’intimidation subie fait prendre conscience de notre différence

Posté le 08/03/2017

Personnellement, je suis convaincue que la reconnaissance de sa différence passe systématiquement dans le regard que les autres posent sur nous.
Victime d’intimidation dès son entrée au primaire, je constate que mon fils n’arrive pas à se faire des amis ni à tisser des liens durables. Ça me bise le cœur autant que ça m’inquiète. En le regardant, bien malgré moi, je mets en parallèle sa vie et la mienne.
Autiste de typer Asperger, il a réalisé sa différence depuis quelque temps déjà ; au moment où il est entré sans s’en rendre compte dans ce « processus d’intimidation » que nous essayons de briser. Et croyez-moi, c’est difficile. En autisme, il y a tant de sensibilisation à faire, tant de renseignements à donner et malheureusement, l’ouverture est loin d’être toujours au rendez-vous.
Lorsque je regarde ma fille, qui doit composer avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) demandant un niveau de soutien allant jusqu’à très important, je suis émerveillée de voir à quel point elle réussit à se faire aimer de chaque personne qui croisent sa route. Elle est d’un naturel attachant, sans aucune conscience de sa différente. Pourtant, elle fait des crises, se désorganise, s’automutile. Même ces comportements ne semblent pas impressionner ses camarades.
Mais je dois avouer que j’ai peur de ce jour où une personne lui fera prendre conscience de sa différence.

Le moment où moi, j’ai pris conscience de ma différence

Aussi clairement que s’il avait été hier, je me souviens du jour où j’ai pris conscience que j’étais différente. Les événements sont gravés dans ma mémoire.
J’avais 8 ans. J’étais en troisième année du primaire. Les années précédentes, j’avais passé pratiquement tout mon temps de récréation à marcher à côté de l’enseignante surveillante ou assise seule sur le rebord d’une fenêtre. Je jouais rarement avec les autres enfants. J’observais, trop timide pour déranger. Mais surtout, j’essayais de comprendre un monde qui m’échappait un peu plus chaque jour.
À peine quelques semaines s’étaient écoulées depuis le début des classes. Un court répit avant que je devienne la cible de mes camarades.

Des petits noms

Des petits noms « sans conséquence » au départ. Leur favori, et il l’est resté de nombreuses années, a été celui de pou. Vous savez, ces petits insectes indésirables qui s’accrochent à vos cheveux sans que vous les ayez invités ?
Je voulais tellement avoir des amis. J’en avais assez d’être seule dans mon coin. Alors je me suis intégrée à leurs jeux… trop souvent mesquins.
Dans l’un d’eux, une espèce d’interprétation du jeu du chat et de la souris, j’étais le chat… ou plutôt le pou. Les autres enfants devaient se sauver pour ne pas attraper de pou. Je jouais. Je souriais. Encore trop naïve pour m’apercevoir qu’on se moquait de moi.
L’année suivante, a été cette où j’ai réalisé que quelque chose « clochait peut-être chez moi ». C’était lors d’une récréation, lors de l’un de leurs nombreux jeux, où encore une fois, j’étais la cible. Le jeu du fermier dans son pré.
Le fermier prend sa femme… la femme prend son enfant… La femme prend sa nourrice… La nourrice prend le chat… Le chat prend la souris… La souris prend l’fromage… Le fromage est battu.

 

Des surnoms qui se transforment en coups

Comme toutes les fois, le fromage c’était moi. Mais ce matin-là, les tapes amicales dans le dos que devait subir le fromage se sont changés en coups dans le dos. Le jeu terminé, j’avais mal au dos et j’avais le cœur gros… mais je n’ai rien dit. Dans les faits, je n’ai rien dit pendant huit longues années.
J’ai gardé le silence malgré que les autres enfants étaient de plus en plus méchants et que la peur s’était installée en moi. Sur le chemin du retour de l’école à la maison, on me bousculait, on menaçait de me battre.

« Je vais te péter la gueule »

Si je n’ai rien compris de ce que j’avais fait pour mériter un tel traitement, j’avoue aujourd’hui que je ne le comprends pas davantage. Je n’avais rien fait. J’étais juste différente.
Pourtant, pendant de nombreuses années, je me suis demandée si ce n’était pas moi le problème et si je n’étais pas moche, stupide ou dégueulasse. Parce que le surnom de pou lui, avait fini par se transformer en grosse connegrosse salope et grosse vache.
À celui-ci on avait aussi ajouté les insultes. Les « tu pues », » tu t’habilles mal », « t’as l’air folle » ont fait partie de mon quotidien pendant si longtemps que j’ai fini par croire que c’était le cas.

Un passé qui laisse des traces

L’intimidation, ça laisse des traces. Et aujourd’hui, à 42 ans, si les marques des coups physiques ont disparu, celles du cœur sont encore bien présentes.
L’intimidation a détruit ma confiance en moi. Une confiance, ça se rebâtit. Merci la vie ! J’y arrive peu à peu. Mais à cause de cela, j’ai toléré des relations abusives qui ont nui longtemps à mon épanouissement. J’ai même, à certains moments, mis ma vie en danger. Parce que pendant longtemps, on a réussi à me faire croire que je ne méritais pas d’être aimée et respectée.
J’espère pouvoir protéger mes enfants le plus possible de ce fléau. J’espère que bientôt, plus personne ne tolérera ce genre de comportement dans nos écoles. Mais tant que l’on continuera de donner le droit à des adultes cachés derrière un clavier d’avoir de tels comportements sur les réseaux sociaux, j’ai peu d’espoir que l’on arrive à éradiquer l’intimidation.
Un adulte ne devrait-il pas donner l’exemple ?



Un texte de Aube Labbé
Éditrice, rédactrice, blogueuse et autiste Asperger

Mais surtout...
Maman d'un petite fille autiste de 7 ans
Maman d'un petit garçon autiste Asperger de 9 ans

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